Par Rita Sidki
Le samedi 24 avril, le président des Etats-Unis Joe Biden prend la décision historique de reconnaître officiellement le génocide arménien. Il est le premier président américain à le faire.
Une décision historique
Le 24 avril 2021, lors de cette date qui marque la 106e commémoration du début des massacres de 1915, le président donne sa position dans un communiqué publié par la Maison-Blanche. Il y précise que « Nous ne faisons pas cela pour blâmer mais pour nous assurer que ce qui s’est passé ne se répète jamais ».
L’ensemble des présidents qui l’avaient précédé ont toujours évité de formellement reconnaître les évènements afin de ne pas créer de tensions avec l’allié turc au sein de l’OTAN.
Le président de la République turque, Recep Tayyip Erdogan, a dès samedi réagi en accusant l’ingérence d’acteurs extérieurs dans des affaires qui concernent son pays. Dans un message communiqué au Patriarcat arménien d’Istanbul, il a déclaré que « Personne ne profite du fait que les débats -qui doivent être tenus par des historiens- soient politisés par des tiers et deviennent un instrument d’ingérence dans notre pays ». Il existait déjà certaines tensions entre les actuels chefs d'État turc et américain depuis que Joe Biden avait qualifié Erdogan « d’autocrate » durant sa campagne présidentielle en janvier 2020.
D’après l’Armenian National Institute de Washington, seule une trentaine de pays incluant la France et la Russie ont reconnu le génocide.
Voici la position actuelle de la Turquie sur le sujet : elle reconnaît officiellement que des meurtres et des expulsions d’Arméniens ont été commis sous l’Empire Ottoman mais considère qu’il ne s’agit pas d’un génocide mais d’une guerre civile entre communautés provoquée par le conflit de la première Guerre Mondiale. Les violences étaient, d’après la Turquie, favorisées par la peur de la naissance d’une alliance entre la communauté arménienne et la Russie.
« Le premier génocide du XXe siècle » selon le Pape François
A la fin du XIXe siècle, les arméniens forment une minorité chrétienne de deux millions d’habitants sous l’Empire Ottoman. Accusés de collaborer avec les « ennemis » de l’Empire de l’époque, le Sultan Hamid II orchestre une série de massacres à partir de 1894.
En 1908, l’arrivée au pouvoir du mouvement des Jeunes Turcs à l’idéologie nationaliste et raciste vis-à-vis des minorités non-turques, amène à chercher à réinstaurer la puissance ottomane en déclin. Il perpétue des massacres qui ciblent les Arméniens malgré le soutien que ces derniers lui ont apporté durant la révolution contre le Sultan.
En 1914, l’Empire Ottoman entre dans le conflit mondial aux côtés de l’Allemagne. A partir de 1915, est mise en place une stratégie de déportation vers des camps et d’extermination de la communauté arménienne mais aussi des communautés grecques et assyro-chaldéennes. Entre 1915 et 1916, les deux tiers des Arméniens de l’Empire Ottoman sont exterminés. A la fin de la guerre, le nouveau gouvernement annonce poursuivre en justice les responsables des massacres.
A la fin de la guerre, l’Empire éclate et le traité de Sèvre prévoit la création d’un Etat indépendant arménien. Toutefois, le traité n’est pas ratifié, et c’est finalement le traité de Lausanne de 1923 qui partage le territoire prévu à cet effet entre l’URSS et le nouvel Etat Turc. Ce traité met également en place l’amnistie des actes commis entre 1914 et 1922, ce qui empêche les Arméniens de demander justice.
Ce n’est qu’à partir de 1965 que des premiers Etats commencent à reconnaître le génocide. En 1985, l’ONU adopte un rapport qui reconnaît que les Arméniens ont été victimes d’un génocide.
La République d’Arménie proclame son indépendance en 1991 à la suite de la chute de l’URSS.
D’après les estimations des historiens, entre 1,2 et 1,5 million d’Arméniens ont été tués par l’Empire Ottoman.
La relation entre l’Arménie et la Turquie
Aujourd’hui, la communauté arménienne poursuit un travail de mémoire et d’histoire. Il y a eu plusieurs demandes de compensations financières à la Turquie ainsi que le rétablissement des droits de propriété des descendants des victimes des massacres.
Depuis 1993, la Turquie maintient fermée sa frontière avec l’Arménie. Les relations entre les deux Etats sont gelées depuis, et le conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan ainsi que la politique toujours plus nationaliste du président turc ont favorisé les tensions. Pourtant, en 2009, les gouvernements turc et arménien négocient les protocoles de Zurich destinés à mettre en place une véritable relation diplomatique et l’ouverture de la frontière. Ils ne seront finalement jamais votés par les parlements.
Dans un article du journal Libération rédigé en 2018 par Quentin Raverdy, le créateur du «Centre caucasien pour la proposition de méthodes de résolution des conflits non conventionnels», Artusha Mkrtchyan affirme que les nouvelles générations arméniennes veulent « créer des liens, notamment économiques » avec les Turcs.
Crédit photo 1 : Press Service of Government of The Republic of Armenia / Wikimedia Commons, no change made / Creative Commons Attribution 3.0
Crédit photo 2 : Office of U.S. Vice President/ Wikimedia Commons, no change made/ Public domain
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