Depuis quelques semaines, ce sujet fait la une de nombreux médias internationaux : la Russie a envoyé des dizaines de milliers de soldats à la frontière qu’elle partage avec l’Ukraine. Cet acte inattendu émeut depuis lors le monde entier qui se demande si une guerre va éclater entre les deux nations, guerre qui pourrait entraîner la riposte musclée des États-Unis et de pays européens. Les conséquences humaines et économiques de cette guerre seraient désastreuses pour de nombreux pays. Mais dans les faits, la situation actuelle prend-elle la voie d’une escalade militaire ou d’un apaisement diplomatique ?
La Russie et l’Ukraine, une histoire de longue date
Jusqu’en 1991, l’Ukraine faisait partie de l’URSS et a conservé des liens étroits avec la Russie après sa déclaration d’indépendance. Mais en 2014, le gouvernement pro-russe de Viktor Ianoukovytch est renversé ; la Russie interprète cela comme une campagne de déstabilisation menée par les États-Unis : elle réagit en annexant la Crimée, une région ukrainienne, un mois plus tard.
Dès lors, l’Ukraine s’est tournée vers les États- Unis et l’Union Européenne, qu’elle souhaite rejoindre, pour prendre ses distances avec la puissance russe. Un accord de libre-échange a été signé en 2014 avec l’Union, et les liens entre la communauté et l’Ukraine se renforcent, mais la Russie demeure son partenaire économique principal. L’OTAN verrait d’un bon œil l’arrivée de l’Ukraine parmi ses membres, ce que Moscou ne peut supporter.
L’OTAN a été formé après la Seconde Guerre mondiale. Il s’agit d’une alliance de défense contre d’éventuelles attaques de l’Union soviétique. Elle a pour rôle la protection de « la liberté et la sécurité de ses membres ». L’article V de son traité stipule que si un pays est attaqué, se sont tous les autres qui le sont aussi.
La Russie mène des actions concrètes …
Depuis le mois de décembre 2021, les Occidentaux accusent Moscou d’avoir réuni des dizaines de milliers de soldats aux frontières de l'Ukraine. Ils analysent cela comme une potentielle invasion, démentie par la Russie : elle affirme vouloir seulement assurer sa sécurité. En effet, pour la Russie, l’Ukraine est un instrument aux mains des Occidentaux, visant à l’acculer et à la contraindre à un conflit armé, car, si l’Ukraine intègre l’OTAN, elle disposera des mêmes dispositifs d’armements modernes que les pays membres…
Fin janvier 2022, des images satellites ont révélé que les forces russes à la frontière ukrainienne avaient encore été renforcées, accroissant l’affolement des médias internationaux.
… mais garde ses intentions secrètes.
Pourquoi la Russie a-t-elle positionné ses troupes à la l’orée du territoire ukrainien ? Rien n’est certain à l’heure qu’il est.
Jean-Robert Raviot, professeur en études russes et post-soviétiques à l’Université Paris Nanterre, émet trois hypothèses. La première est que la Russie voudrait bel et bien envahir l’Ukraine. Mais si elle avait pris cette décision - coûteuse en moyens, en hommes, et en temps, et qui lui ferait perdre le soutien de l’opinion publique, ce qui déstabiliserait le pouvoir - elle aurait positionné ses soldats au nord de l’Ukraine, pour atteindre la capitale, et non au sud-est. La deuxième hypothèse est que la Russie serait sur le point de prendre le contrôle des républiques sécessionnistes du Donbass et de Lougansk, pour les annexer. Mais dans ce cas-là, la Russie aurait déjà agi, pour profiter de l’effet de surprise.
D’autre part, elle serait certaine de subir à nouveau des sanctions de la part de la communauté internationale, et notamment de la Chine, ce dont elle n’a pas besoin. Enfin, la troisième et la plus vraisemblable des hypothèses soulevées est que la Russie chercherait à faire peser une pression sur les dirigeants ukrainiens et sur leurs soutiens occidentaux, afin de freiner les ambitions expansionnistes de l’OTAN. La Russie considèrerait ainsi que l’Ukraine pourrait faire office de « zone tampon » entre elle et son flanc occidental.
La situation actuelle est donc celle d’un conflit gelé, permettant à la puissance russe de déstabiliser ses voisins, de préserver ses intérêts, et de souligner l’influence dont elle dispose sur la scène internationale.
A l’international, les réactions se multiplient
Les États-Unis, s’ils ont été parmi les premiers à tirer la sonnette d’alarme, sont cependant dans une situation délicate : ils ne peuvent pas faire faiblir le rapport de force qu’ils entretiennent avec la Chine, et pourtant, la Russie a un positionnement géopolitique stratégique vis-à-vis de la puissance chinoise. La Maison Blanche ne peut donc riposter militairement envers Moscou sans essuyer un revers chinois en retour. Elle a tout de même envoyé 3 000 hommes supplémentaires en Europe de l’Est. Ils s’ajoutent aux 8 500 soldats déjà déployés en Roumanie et en Pologne, ce qui vise, disent les États-Unis, « à rassurer les membres de l’OTAN » et à envoyer « un signal fort ».
Les États-Unis pourraient néanmoins vouloir exploiter la crise énergétique qui risque de menacer l’Europe dans leur intérêt. En effet, cette dernière reçoit 40% de ses importations de gaz de la Russie. Les tensions militaires pourraient avoir un effet immédiat sur cet acheminement. Washington profiterait ainsi de la situation pour devenir le principal fournisseur de gaz des Européens.
Le président Joe Biden et son homologue français Emmanuel Macron se sont engagés à coordonner leur réponse à la présence militaire russe à la frontière ukrainienne, et ont « affirmé leur soutien à la souveraineté et à l’intégrité territoriale de l’Ukraine ». Ils ont aussi revu « la coordination en cours au niveau à la fois de la diplomatie et des préparatifs pour imposer des mesures économiques rapides et sévères à la Russie si elle envahissait davantage l'Ukraine ».
Le président turc Recep Tayyip Erdogan a rendu visite ce jeudi à Volodymyr Zelensk, le président ukrainien. Les deux pays entretiennent de fortes relations commerciales, et le président turc espérait pouvoir faire valoir son rôle de médiateur, évoquant à la fois ces liens étroits, ceux qu’il entretient avec la Russie, et son appartenance à l’OTAN. Il souhaitait plaider pour une solution pacifique afin de résoudre la crise.
Quant à l’Allemagne, elle a interdit la diffusion de la chaîne russe RT sur ses ondes ; Moscou a réagi en ordonnant la fermeture du bureau local de la radiotélévision internationale allemande, et l’interdiction de la diffusion de ses programmes.
Enfin, jusqu’à deux millions de personnes vivant près de la ligne de front dans l’est de l’Ukraine risquent d’être délogées si des combats éclatent. Le Conseil norvégien craint un déplacement massif de population.
Vers un apaisement ou une escalade des tensions ?
Alors que les États-Unis affirmaient que l’invasion russe était « imminente », la Maison Blanche a décidé de cesser de la qualifier ainsi, puisque cette qualification signifiait que Washington savait de source sûre que Moscou allait bel et bien envahir l’Ukraine. Ce mot a semé un vent de panique que le président ukrainien a prié la puissance étasunienne de réprimer au plus vite.
L’analyse des images satellites les plus récentes montre que des tentes pour le personnel ont été montées, aussi bien sur les sites de déploiement en Biélorussie, en Crimée et en Russie occidentale : les unités seraient donc accompagnées de troupes qui ont augmenté leur niveau de préparation, ce qui a pu être observé lors d’entraînements militaires incluant l’utilisation d’artillerie tirant des balles réelles.
Les États-Unis pourraient se montrer favorables à un dialogue et à des compromis concernant le traité de l’OTAN. Ils proposent que la Russie s’engage à ne pas déployer de moyens militaires offensifs en Ukraine, qu’elle fasse preuve de transparence en ce qui concerne certaines infrastructures militaires préoccupantes, en échange de quoi ils se montreront disposés à discuter « d’un mécanisme de transparence pour confirmer l’absence de missiles de croisière Tomahawk » sur des sites en Roumanie et en Pologne. Mais en réalité, bien que chaque camp affiche un désir de désescalade, ils ont tous deux la volonté de ne pas céder sur leurs positions de principe.
D’autre part, plus le temps passe, et plus l’éventualité d’une rétroaction de la part de la Russie s’amenuise. Si l’une des puissances pose un ultimatum, l’autre enverra une réponse tout aussi radicale et cætera. Cela pourrait déboucher sur une situation où la Russie n’aurait pas d’autre possibilité que d’attaquer directement l’Ukraine.
La réaction de la population russe, le courage de la population ukrainienne
En Russie, l’opinion nationale est convaincue que l’OTAN est hostile à la Russie, et que cette organisation ainsi que les États-Unis sont responsables de l’escalade des tensions. De ce fait, la Russie, loin d’attaquer, défendrait sa sécurité. Néanmoins, un peu plus d’un tiers de la population pense qu’il y aura un conflit armé avec un pays voisin cette année. Ils sont plus de la moitié à estimer que ça ne sera pas le cas, l’une des plus grandes peurs de cette population étant l’émergence d’une troisième guerre mondiale.
Quant aux Ukrainiens, ils ressentent une inquiétude croissante renforcée par les discours alarmistes tenus par les médias internationaux. Cette inquiétude les convainc à s’engager dans une révolte contre la Russie si la nécessité s’en fait ressentir.
Crédit photo : Wikimedia Commons, no change made, Authorized Youtube stream of the «FaceNews.ua», Ukrainian information portal, Creative Commons Attribution 3.0
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