"La capacité à lire, écrire et analyser ; la confiance nécessaire pour pouvoir défendre ses droits et exiger justice et égalité ; les compétences et les relations qui ouvrent des portes et permettent à chacun de trouver sa place dans la société - tout cela commence par l'éducation" Michelle Obama, Discours "Let Girls Learn", 2016
Le nombre de filles scolarisées à travers le monde n’a jamais été aussi élevé. Selon un rapport publié par l’UNESCO le 11 octobre 2020, ces 25 dernières années ont été marquées par des progrès significatifs sur l’accès des filles à l’éducation. En 1995, après la tenue de la quatrième conférence mondiale sur les femmes à Beijing, l’ampleur des inégalités et discriminations que subissent les femmes dès leur plus jeune âge est mis en lumière, permettant un début de prise de conscience globale. Le tournant du Programme d'action de Beijing est plus que visible, puisque de manière générale, les efforts se multiplient pour offrir une meilleure éducation aux filles, qui ont été 180 millions de plus à s’inscrire dans l’enseignement primaire et secondaire en 25 ans. L’engagement des 189 pays prenant part à ce programme donne l’opportunité d’agir concrètement dans l’amélioration des droits des femmes et s’accompagne de progrès considérables : le taux de scolarisation des filles à l’échelle mondiale est passé de 73% en 1995 à 89% en 2020. Toutefois, malgré toutes ces données optimistes, trop nombreuses sont encore les filles à travers le monde qui se retrouvent partiellement ou complètement privées d’éducation. La situation est devenue d’autant plus préoccupante depuis la propagation de la pandémie de Covid-19, qui a considérablement ralenti, voire stoppé de nombreuses avancées en la matière, ne faisant qu’exacerber les inégalités. Par ailleurs, il est important de garder en tête que 132 millions de filles ne sont toujours pas scolarisées et que 516 millions de femmes sont encore analphabètes dans le monde.
Interdépendance entre accès à l’éducation des filles et prospérité socio-économique
L’éducation des femmes est tout sauf un thème anodin qui doit être traité de façon marginal, mais bel et bien un sujet capable de créer des répercussions positives énormes sur les différentes sociétés. Les implications entre éducation et amélioration des conditions de vie d’un pays sont nombreuses ; par exemple, selon le Rapport mondial de suivi sur l’EPT, « si toutes les adolescentes suivaient des études secondaires, la mortalité infantile diminuerait de moitié ce qui permettrait de sauver trois millions de vies ». Eduquer les filles permet plus généralement de réduire les risques liés à la maternité, corrélés aux grossesses précoces auxquelles sont encore contraintes chaque année 21 millions de jeunes filles âgées de 15 à 19 ans dans les régions en développement (d’après un article publié par l’OMS en 2022). La baisse du taux de natalité exigée par la transition démographique, sujet centrale dans nos sociétés actuelles faisant face au changement climatique, est conditionnée par une meilleure éducation des filles. Les chiffres parlent d’eux-mêmes, puisqu’en Afrique subsaharienne les femmes non scolarisées ont en moyenne 6,7 enfants, contre 3,9 pour celles ayant suivi des études secondaires. Mais au-delà de l’aspect sanitaire et démographique, c’est l’économie mondiale qui pourrait être boostée si les femmes avaient plus accès à l’éducation. En effet, les filles plus éduquées sont capables de trouver et d’occuper un emploi, leur octroyant une indépendance économique, tout en étant bénéfique au bon fonctionnement économique de la société. Selon Kristalina Georgieva, directrice générale du FMI, « si les femmes avaient le même accès au marché du travail que les hommes, le PIB des États-Unis serait supérieur de 5%, celui du Japon de 9%, celui de l'Inde de 27% et celui de l'Égypte de 34%. Donc vous voulez avoir la prospérité, assurez-vous que les femmes peuvent contribuer à leurs communautés, à leurs sociétés ».
Le Rwanda, un pays qui mise beaucoup sur l’éducation des filles
Ce constat liant meilleur accès à l’éducation des filles et bienfaits sanitaires, démographiques et économiques a bien été compris par certains pays qui se sont fixés des objectifs ambitieux en la matière. Le Rwanda en est un exemple très concret. Historiquement, c’est après le génocide de 1994 que le gouvernement rwandais a commencé à mettre en œuvre une politique d’émancipation des femmes, leur part dans la population ayant beaucoup augmenté du fait du décès de nombreux hommes. Représentant alors 70% de la population, il en allait de la survie économique comme politique du pays que de se lancer dans un profond programme de développement de l’éducation des filles. Aujourd’hui, le Rwanda est l’un des pays au monde disposant de la croissance économique la plus élevée (plus de 7% en 2022) et poursuit ses efforts sur l’égalité d’accès à l’éducation. Ayant pour ambition de devenir une économie de la connaissance, le pays mise beaucoup sur l’éducation des filles, notamment dans le secondaire et le supérieur. Le système scolaire rwandais se penche particulièrement sur le développement de certaines compétences précises dans le domaine des sciences, de l’ingénierie, des mathématiques ou encore de la technologie, et attirer les filles vers des études de ce type est l’un des objectifs principaux du gouvernement. Bien supérieur à la moyenne africaine, le taux d'inscription des filles dans le primaire et le premier cycle du secondaire est ainsi aujourd’hui de 98% au Rwanda. Le pays se démarque aussi depuis quelques temps sur la place des femmes en politique, qui constituent actuellement 61% du parlement rwandais, en faisant l’un des trois pays au monde disposant d’un organe législatif à majorité féminine ; les retombées de l’augmentation de la scolarisation des filles sont non négligeables. D’après un rapport du Forum économique mondial de 2020, le Rwanda se place neuvième dans le monde pour l’égalité des genres. Mais il ne faudrait pas non plus idéaliser complétement la politique éducative du Rwanda, puisque les filles sont encore largement plus concernées par l’abandon scolaire, et cela notamment en raison des grossesses précoces qui les empêchent de finir leurs études. Le Covid-19 a d’ailleurs pleinement mis en évidence les inégalités persistantes concernant l’éducation, puisque davantage de filles sont sorties du système scolaire en raison de la pandémie, se retrouvant également plus exposées aux violences domestiques. Selon Eugénie Mukanoheli, chef de projet ÉDUFAM au Rwanda (projet ayant pour but d’offrir un meilleur avenir aux filles de la région africaine des Grands Lacs), « au Rwanda, les filles sont les premières victimes des circonstances difficiles liées à la pandémie. Certaines d’entre-elles ont abandonné l’école, d’autres sont tombées enceintes ou se sont engagées dans des mariages précoces ».
L’Iran continue de restreindre l’accès à l’éducation aux femmes
Bien que l’éducation des femmes soit devenu un sujet de préoccupation central pour nombre de pays, la situation reste bien plus compliquée dans certaines régions du monde où le recul des efforts accomplis est alarmant. L’actualité récente nous plonge dans cette vague de violence que subissent les femmes iraniennes, notamment celles cherchant à s’éduquer ; ce 4 mars, de nouvelles intoxications au gaz ont eu lieu dans six écoles de jeunes filles dans l’ouest du pays, faisant 800 victimes. Ces attaques concernent exclusivement les centres éducatifs composés de filles, rappelant d’autres épisodes similaires ayant eu lieu en Afghanistan et au Nigéria, où la méthode du gazage d’écolières avait été employée par les Talibans et Boko Haram. Les iraniennes voient leur droit à l’éducation s’amenuiser depuis quelques années, bafouant les acquis des années post 1989. Les inégalités d’accès à l’éducation se sont en effet considérablement réduites après la mort de Khomeini, guide spirituel de la Révolution islamique de 1979, réduisant à « seulement » 9% l’écart d’alphabétisation entre les femmes et les hommes. Mais depuis quelques années, l’Iran va dans le sens inverse et accorde de moins en moins de droits aux femmes, toujours plus restreintes en matière d’enseignement. En 2012 par exemple, le gouvernement décide d’interdire aux jeunes femmes l’accès à 77 filières universitaires, dans les domaines de l’informatique, de la physique nucléaire ou encore de l’ingénierie électrique. Le ministre de l’éducation alors en fonction, Seyed Abolfazl Hassani, justifie cette décision de la manière suivante : « certaines matières ne sont pas adaptées à la nature des femmes ». Ainsi, les obstacles se multiplient pour les filles iraniennes de moins en moins incitées (voire désincitées) à suivre ou poursuivre leurs études : aujourd’hui, 75% des étudiants iraniens privés d’éducation sont des filles.
Le droit des femmes à l’éducation bafoué par les Talibans
La situation s’est également grandement détériorée en Afghanistan depuis le retour des Talibans au pouvoir. Le régime ultra-rigoriste mis en place fin 2021 bafoue allégrement et de façon systématique les droits des femmes. A peine arrivés au pouvoir, les Talibans interdisent la poursuite des études secondaires et universitaires pour toutes les afghanes et leur privent l’accès à de nombreux emplois, alors que le nombre de femmes dans l’enseignement supérieur avait été multiplié par 20 entre 2001 et 2018. Au-delà du recul considérable en terme de droits, ces interdictions arbitraires ont de lourdes conséquences économiques pour le pays ; selon une étude menée par l’UNICEF en 2022, la perte s’élève à 2,5% du PIB afghan, représentant 500 millions de dollars en un an. Toujours selon la même étude, « si les trois millions de filles actuellement privées d’éducation secondaire étaient en mesure de terminer leurs études et d’intégrer le marché du travail, les filles et les femmes apporteraient une contribution d’au moins 5,4 milliards de dollars à l’économie afghane ». La menace n’est pas que financière mais aussi sécuritaire pour les afghanes, qui se retrouvent plus exposées à de nombreux abus et violences comme le mariage précoce et forcé, ou encore la traite et le travail des jeunes filles. La situation sanitaire qui en découle est catastrophique, en raison d’un accès plus que limité aux ONG qui viennent en aide aux femmes. La malnutrition aigue monte en flèche depuis plus d’un an, avec une augmentation de 90% des enfants hospitalisés ; la santé des jeunes femmes est fortement impactée par leur incapacité à continuer leur éducation. C’est en fait une crise multidimensionnelle qui découle des privations imposées aux filles afghanes, qui sont aujourd’hui 80% à ne pas être scolarisées.
Finalement, malgré une évolution globale positive avec de plus en plus de filles scolarisées à travers le monde, le bilan est loin d’être uniforme dans tous les pays. Même dans certaines parties du globe où l’accès à l’éducation semble idéal pour les filles, des zones d’ombre restent à déplorer. Certaines traditions discriminatoires à l’égard des femmes persistent, y compris dans des pays faisant figure d’exemple en la matière.
Rédactrice : Elsa Sittler
Crédits photos : Wikimedia Commons, no change made, Creative Commons License.
Sources : ONU ; ONU Femmes ; UNICEF ; OMS ; UNESCO ; Banque Mondiale ; Le Monde ; Courrier international ; EuroNews
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