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L’État français en procès climatique

Dernière mise à jour : 4 mars 2021

Par Marine Testé


Le verdict d’un procès historique


Le jeudi 14 janvier s’est déroulée l’audience de « l’Affaire du siècle » devant le tribunal administratif de Paris. Ainsi nommé par les ONG parties civiles, il y était jugé l'inaction de l’État français face au dérèglement climatique.

Manifestation devant le Tribunal administratif de Paris.

Cette audience était l’ultime étape avant le rendu de la décision du tribunal administratif. Les ONG plaçaient tous leurs espoirs en une victoire qui permettrait de contraindre le gouvernement à enfin appliquer concrètement les mesures évoquées dans leurs discours.

Le 3 février, le tribunal administratif a rendu un jugement historique : il reconnaît le manquement de l’État français en termes d’actions contre le réchauffement climatique. Le juge ayant reconnu la faute, il a donc condamné l’État pour le non-respect de ses engagements concernant la réduction des gaz à effet de serre.

Les deux parties ont tout de même la possibilité de faire appel, dans lequel cas l’affaire sera portée devant la Cour d’appel administrative de Paris.

La reconnaissance d’une faute de l’État français demeure tout de même une victoire historique dans le combat contre le réchauffement climatique.


Une histoire inédite


C’est le 17 décembre 2018 que l’Affaire du siècle a débuté. Face à l’inaction des gouvernements successifs, les ONG ont jugé que la France a pris trop de retard dans la lutte contre le réchauffement climatique.

Quatre ONG de protection de l’environnement se sont réunies pour entamer un recours en justice : Notre affaire à tous, la Fondation Nicolas Hulot pour la Nature et l’Homme, Greenpeace France et Oxfam France.

La démarche a débuté par une demande préalable indemnitaire, ce qui est une démarche obligatoire lors de la construction d’une telle procédure légale. Pour ce faire, les ONG ont envoyé une lettre à plusieurs ministres, dont l’ancien Premier ministre Édouard Philippe, dans laquelle elles démontraient l’inaction étatique. Elles ont également demandé une réparation des préjudices moraux et écologiques qu'a entraîné le manquement de l’État.

Cette demande préalable indemnitaire s’est soldée par un rejet, à la suite de quoi les ONG ont donc déposé un recours devant le tribunal administratif parisien, ainsi qu’un mémoire complémentaire dans lequel elles avaient réuni tous leurs arguments.

L 'État s’est défendu de mémoire en écrivant à son tour un mémoire de défense, ce que les ONG ont également contré en écrivant un mémoire de réplique regroupant des témoignages de la crise climatique.

Le directeur de Greenpeace, Jean François Julliard, explique leur action : « l’État français n’est pas à la hauteur des objectifs et des trajectoires qu’il s’est fixé lui-même, notamment en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre.»


Un procès porteur d’espoir


De ce procès il est espéré la reconnaissance de l’État dans le manquement d’actions contre le réchauffement climatique. Mais ce que souhaitent les ONG avant tout c’est l’obtention d’une injonction à agir, ce qui obligerait l’État à prendre les mesures nécessaires. Pour cela les ONG ont dès lors déjà proposé au gouvernement un plan reposant sur 6 axes de travail, incluant la fiscalité, la rénovation énergétique ou encore l’alimentation. Les défenseurs écologiques espèrent même que cette décision puisse faire jurisprudence dans le futur.

Manifestation contre le changement climatique.

Cette victoire inédite dans la lutte contre le changement climatique passe surtout par le dévoilement de la vérité concernant les agissements étatiques : l’État doit endosser sa responsabilité face à son inaction et doit être mis face à ses obligations. Il faudra cependant attendre une nouvelle déclaration, d’ici deux mois, afin d’évoquer d’éventuelles obligations quant aux mesures supplémentaires à mettre en œuvre. Les ONG espèrent que le jugement ira plus loin que simplement reconnaître la faute de l’État mais usera de son pouvoir coercitif afin de l’obliger à davantage s’impliquer concrètement contre le réchauffement climatique.


Réactions du gouvernement français


En vertu de la réparation du préjudice moral, l'État devra verser symboliquement 1 euro à chacune des ONG, un montant qu’elles avaient fixé elles-mêmes au préalable. De plus, fait inédit : le tribunal a reconnu l’existence d’un préjudice écologique à l’encontre d’une personne publique alors qu’auparavant ce préjudice n’était applicable qu’aux personnes privées.


Le ministère de la transition écologique a déclaré « prendre acte de la décision du tribunal administratif ».

Gabriel Attal, porte-parole du gouvernement, a rappelé que l’État avait engagé un investissement de 30 milliards d’euros afin de lutter contre le réchauffement climatique et protéger l’environnement. Il a également rappelé les agissements du gouvernement en termes de rénovation thermique des bâtiments, actions qui sont en cours actuellement.


À l’international, le mouvement des contentieux climatiques en plein essor


Le lancement de l’Affaire du siècle avait suscité beaucoup de soutiens en France. Une pétition de soutien avait atteint plus de 2 millions de signatures en moins de 3 semaines. La France n’est d’ailleurs pas le seul pays à saisir la justice afin d’impliquer plus fortement l’État dans la cause climatique.


En effet, aux Pays-Bas, l’État a également été porté en justice. L’affaire Urgenda a été la pionnière en son genre où la cour d’appel de la Haye et la Cour suprême ont unanimement donné raison aux requérants, obligeant l’État à reconnaître son obligation de protéger les citoyens des conséquences du réchauffement climatiques et des activités polluantes.


De même au Pakistan, à la suite du recours en justice d’un agriculteur qui avait vu ses récoltes s’amoindrir en raison des intempéries, l’État a été jugé coupable par la cour d’appel : « le retard et la léthargie manifestés par l’État portent atteinte aux droits fondamentaux des citoyens. » L’agriculteur avait défendu son droit à la vie et à la dignité face au changement climatique, ce qui a entraîné la création d’une commission sur le changement climatique afin de surveiller les progrès effectués par l’État.


En novembre 2020, des Portugais souffrant de canicules et d’incendies ont porté 33 États devant la Cour européenne des droits de l'homme. Ces recours sont un nouveau mode d’action afin de faire tenter à l’État de respecter ses obligations.


Crédit photo : GodefroyParis, Wikimedia Commons / No change made /CC BY-SA 4.0

Crédit photo : patrick janicek, Wikimedia Commons/ No change made / CC BY-SA 2.0

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