Alors qu’il y a moins d’un an, l’Italie était décimée par le Covid-19, elle semble aujourd’hui, pour la première fois depuis la Seconde Guerre mondiale, prête à jouer un rôle déterminant sur la scène internationale.
Émergence d’un nouvel homme d’État
Derrière cette remontée économique et diplomatique, il y a avant tout un homme, Mario Draghi, le président du conseil des ministres. « Mario Draghi jouit aujourd'hui (du) niveau d'appui parlementaire le plus élevé de toute l'histoire italienne. C'est une nouveauté dans un pays qui n'est pas habitué aux grandes coalitions à l'allemande », explique Sabino Cassese, ancien juge de la cour constitutionnelle.
Ancien directeur de la BCE, acclamé pour sa gestion du passage à l’euro, Mario Draghi gouverne l’Italie depuis bientôt neuf mois grâce à une coalition des partis qui frise une “Union sacrée” proche de celle menée par Clémenceau lors de la Première Guerre mondiale.
Du côté économique
Alors que le pays dut s’endetter massivement pour faire face à une pandémie qui a tué plus de cent trente milliers d’Italiens, le gouvernement est parvenu à installer une croissance de 6%, la plus forte de tous les pays du G7 pour 2021. Si bien qu'aujourd'hui l’Italie semble être nécessaire à la reprise de la croissance européenne.
Pour parvenir à cet objectif, le gouvernement italien encourage notamment la consommation intérieure et dynamise les exportations. Draghi a su imposer une réforme administrative majeure qui permettra de mener à bien les initiatives économiques jusque-là toujours empêchées par le poids de l’administration.
Du côté diplomatique
Le succès italien est donc bien économique, mais de façon plus visible encore, il est surtout diplomatique. En effet, depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, l’Italie a suivi une politique internationale très passive, se ralliant systématiquement aux décisions du bloc de l’Ouest puis de Bruxelles. Aujourd’hui, un couple franco-italien semble près de se former pour diriger l’Europe, promettant une fin à l’isolement franco-allemand.
La rencontre de Mario Draghi et d’Emmanuel Macron du 2 septembre à Nice a en effet scellé l’accord qui sera signé sous le nom de Traité du Quirinal (d’après le palais présidentiel italien). Celui-ci accordera les réglementations commerciales et industrielles entre les deux pays afin d’intensifier les échanges transalpins, qui regroupent déjà 4 000 entreprises présentes dans les deux pays, 300 000 salariés dépendants de ces échanges et des investissements directs à la hauteur de 110 milliards. Plus qu’un traité commercial, le Traité du Quirinal est surtout l’affirmation d’une volonté française d’inclure l’Italie dans la cour des grands, et d’une détermination italienne d’y retourner.
Quid de l’Allemagne?
Cela signifie-t-il pour autant que le départ d’Angela Merkel signera la sortie de scène de l’Allemagne? La réponse des spécialistes est un non catégorique. La France n’a apparemment pas intérêt à évincer l’Allemagne de la table de décision et elle ne le peut pas. C’est donc au lieu d’un binôme, un trinôme: franco-italo-allemand qui se profile à l’horizon de la tête de l’Europe. L’Allemagne semble accueillir avec entrain l’arrivée diplomatique de l’Italie, mais déterminée à conserver la priorité de l’alliance outre-Rhin.
Depuis de nombreuses années, les membres de l’Union Européenne critiquent la façon trop solitaire employée par la France et l’Allemagne pour diriger l’Europe. Aussi, l’émergence de l’Italie dans le centre de décision européen ne serait pas tant une extension du couple franco-allemand, qu’une réforme profonde de la direction européenne. Les autres pays membres seraient désormais plus impliqués dans les décisions de l’Union. L’Italie pourrait alors jouer le rôle de lien diplomatique entre le couple franco-allemand et les autres pays de l’Union européenne.
Parmi les difficultés qui restent à traverser : l’élection présidentielle,
Cette remontée économique et diplomatique repose cependant trop sur les épaules d’un seul homme. Aussi l’Italie risque d’être fragilisée si Draghi perd le pouvoir, ce qui pourrait advenir si l’élection du président de la République de février 2022 venait à mal se passer pour lui. Deux scénarios défavorables sont possibles : soit il sera élu président de la République et passera donc à un pouvoir plus en retrait que celui du président du conseil des ministres, ce qui risquerait de bouleverser le fragile équilibre politique. Soit un président de la République qui lui est hostile sera élu, et alors malgré les faibles pouvoirs du président de la République, Draghi risque d’être chassé du gouvernement. La solution la plus sûre pour Draghi serait donc qu’un président qui lui soit allié soit élu. Ce n’est cependant pas du tout assuré.
Pour l’instant, la crise sanitaire a ligué tous les partis politiques. Même La Ligue de Matteo Salvini et le mouvement 5 étoiles votent les mesures proposées par le gouvernement. En outre, le vote de ces partis d’extrême droite s’est effondré dernièrement. Mais la tendance est susceptible de s’inverser très vite. D’une part, le vote populiste a baissé suite à des scandales internes aux partis et il est donc susceptible de remonter lorsque ces partis se seront assainis. Par ailleurs, Draghi est assez ouvertement opposé au populisme et son alliance avec la France repose en grande partie sur une stratégie pour faire refluer l’extrême droite en Europe.
En outre, le gouvernement italien a des objectifs très stricts imposés par Bruxelles dans le cadre du plan de relance post-épidémie. L’émergence italienne pourrait donc être stoppée net en cas d’arrêt des financements européens, si Bruxelles estimait que les objectifs n’étaient pas atteints. Cette ascension italienne pourrait donc être annonciatrice d’une révision du processus de décision en Europe, comme elle ne pourrait être qu’un phénomène éphémère.
Crédit photo 1 : Wikimedia commons, no change made, Presidenza della Repubblica, Quirinale.it
Crédit photo 2 : Wikimedia commons, no change made, Presidenza della Repubblica, Quirinale.it
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