Afin de faire écho à l’article que nous avons publié le 21/11 (https://www.edhecnationsunies.com/post/guerre-d-influence-au-liban) sur la guerre d’influence qui fait actuellement rage au Pays du Cèdre, nous allons nous pencher dans cet article-ci sur l’aspect socio-économique de la crise qui s’y abat depuis plusieurs années.
La misère d’un peuple “résilient”
À la crise politique et économique que subissait le Liban depuis quelques années, se sont ajoutées la crise du Covid-19, et l’explosion mortelle du 4 août 2020 dans le port de Beyrouth, qui a tué 200 personnes et fait 6500 blessés. À sa lumière, la misère du pays a éclaté aux yeux du monde entier, mais en dépit du soutien qu’il a reçu, le pays du Cèdre peine à sortir du chaos dans lequel il a été plongé.
Plusieurs heures par jour, le courant est coupé, de Beyrouth jusque dans les montagnes. Les spécialistes disent que 80% de la population vit sous le seuil de pauvreté ; de nombreuses familles n’ont pu rejoindre le foyer détruit dans l’explosion, et vivent toujours dans des logements temporaires.
Les pénuries frappent le pays entier depuis le début de l’année, il n’y a plus d’essence donc plus de transport, plus de mazout pour faire fonctionner les quelques moteurs d’électricité privés qui pourraient pallier les pannes de courant, et permettre aux réfrigérateurs, par exemple, de fonctionner à nouveau. Il faut savoir que le reste des générateurs qui assurent normalement la consommation publique d’électricité appartient à l’État, et cette privatisation est un autre fléau pour les Libanais. Dans les villes, on ne trouve plus de médecins, plus de médicaments, plus de pain.
Seule la minorité la plus aisée de la société a réussi à préserver son pouvoir d’achat : en effet, la livre libanaise a perdu dix fois sa valeur initiale ces derniers mois. Les importations iraniennes ou syriennes ainsi que le marché noir sont désormais les seuls moyens d’obtenir de la nourriture et d’autres biens devenus inaccessibles pour la majorité des Libanais. Toute importation doit effectuer un véritable parcours du combattant : le port était un point névralgique qui permettait aux produits d’arriver sur le territoire ; sa destruction a compromis l’équilibre économique du pays déjà fragile.
Le peuple tient pourtant toujours debout et est dit « résilient », un adjectif empoisonné qui a souvent été utilisé pour décrire les Libanais, car il montre bien qu’ils supportent depuis des décennies des maux dont ils devraient pourtant se débarrasser.
La jeunesse, même privée d’éducation, s’engage
Nombreuses sont les classes devenues des classes fantômes : l’éducation elle aussi a subi un coup d’arrêt depuis 2020. Les frais de scolarité ont explosé, les laboratoires et rétroprojecteurs sont inutilisables du fait de l’absence d’électricité. Un petit Libanais sur dix ne va plus à l’école. Certains sont obligés de travailler pour aider leur famille financièrement. De nombreux jeunes tentent de partir à l’étranger pour leurs études. C’est un drame pour un pays où l’éducation tient pourtant une place primordiale, même dans les strates les plus modestes de la société.
Si des jeunes fuient le Liban, d’autres s’engagent, notamment la génération de la Thawra, qui s’est éveillée dès la crise du « Whatsapp call » en 2019. Au cri de « Kellon yaane kellon » (« Tous, ça veut dire tous »), ils s’étaient alors rassemblés pour protester contre toute la classe politique, sans exception, et leur combat continue, révélant la solidarité de tout le peuple. Les jeunes issus de la diaspora, de la même génération, envoient quant à eux leur soutien, tandis que des intellectuels, philosophes, technocrates, politologues, et économistes, publient et exposent leurs idées concernant le système de gouvernance bancal du Liban.
Une inextricable situation politique
À la suite de l’explosion du port de Beyrouth, plusieurs enquêtes internationales ont été initiées afin de découvrir ce qu’il s’est réellement passé, et de dénoncer les véritables coupables. Mais le gouvernement libanais n’a aucun intérêt à ce que ces enquêtes aboutissent, car nombreux sont les responsables qui étaient au pouvoir au moment des faits. Plusieurs juges se sont succédé, pour défendre les familles dont les membres ont péri dans cette tragédie : systématiquement, on les démet de leurs fonctions, on leur interdit d’approcher la classe politique, on les menace dès lors qu’ils s’en prennent à eux…
Quant au peuple, s’il est meurtri et scandalisé, il n’ose pas se rebeller frontalement : il a profité des conditions gouvernementales pendant longtemps. En échange d’un soutien aveugle, une part non négligeable de la population, par manque d’information et par nécessité, a juré fidélité au Hezbollah afin d’obtenir une éducation pour leurs enfants, de l’argent pour se nourrir, et des aides financières diverses.
Des enjeux géopolitiques brûlants
Depuis août 2020, le rôle majeur du port de Beyrouth pour l’économie du pays et pour son positionnement géopolitique ne fait plus aucun doute. La reconstruction de cette porte d’entrée vers le Moyen-Orient est urgente. Plusieurs pays, notamment la Chine, l’Allemagne et la France, se sont immédiatement portés volontaires pour prêter main forte dans le chantier qui s’annonce, mais leur aide est évidemment intéressée et stratégique. L’Allemagne a présenté un projet dont le montant tournerait autour de 30 milliards de dollars. La Chine, soutenue par Hassan Nasrallah, chef du mouvement chiite du Hezbollah, est prête à combler le déficit économique du Liban afin d’asseoir son influence régionale. Enfin, la France cherche à limiter l’influence de l’Iran à travers le Hezbollah et tente d’affirmer son ancrage politique dans le Pays du Cèdre, en participant notamment à la reconstruction du port.
Comme l’explique le docteur en sciences politiques Ali Laïdi, le Liban fait face à non pas « une guerre pour l'économie, mais à un conflit politique mené sur le terrain économique, en vue de maintenir ou d’accroître (la) puissance » des pays rivaux.
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